J'étais purement extatique. Demain matin j'allais revoir le duc de Norfolk que je n'avais pas revu depuis l'enterrement du Roi. Et encore... revoir est un bien grand mot car nous n'avions pas eu l'occasion de pouvoir échanger ensemble tant l'un et l'autre avions été pris par nos devoirs respectifs.

1 mois sans se voir... autant dire une vie dans l'univers des saisons londoniennes. Heureusement, nous avions pu échanger une correspondance. Correspondance qui m'avait permis d'espérer. Espéré avoir trouvé celui que je cherchais, cet homme qui me permettrait de conjuguer respect de mon devoir envers parents et famille ainsi que le bonheur d'être aimée et d'aimer en retour. Ses mots avaient été si doux, ses sentiments si clairement révélés. Je ne m'étais absolument pas doutée qu'avec nos rencontres pourtant si formelles j'avais fait naître un si doux sentiment chez le duc. Il avait été certes constant dans on intérêt mais n'avais jamais exprimé ne serait-ce que l'existence d'une douce pensée.

Bien sûr, ma mère avait veillé à m'interroger et à être tenue informée de l'évolution de cette relation. Elle ne souhaitait pas se montrer contrôlante ni intrusive mais le duc lui avait fait bonne impression lorsqu'il lui avait été présenté lors du bal donné par le Roi de Prusse en juillet. Mon bonheur semblait être tout ce qui lui importait et vu mon récit fidèle des écrits de mon prétendant, elle m'avait incité à nourrir de grands espoirs quant à une rencontre prochaine. Qui sait, peut-être se dirigions-nous vers une demande en mariage ?

Néanmoins ma raison ne me permettait pas d'espérer. Peut-être allait-il m'annoncer qu'il avait rencontré quelque dame qui lui avait ravi son coeur entre temps et qu'il m'avait totalement oubliée ?

"ASSEZ LOUISE PAR PITIÉ !!" avait répondu mon frère Gabriel quand je lui avais fait part de tous mes doutes. Comment ne pas se faire des noeuds au cerveau dans une telle situation ?

Alors je m'étais tue et avais gardé mes inquiétudes et insécurités pour moi. Toujours est-il que j'étais terrifiée en envisageant forcément les pires possibilités. Toutefois une chose était certaine : je devais être à mon avantage et porter une robe différente de d'habitude. Juste au cas où cette promenade finisse par être plus qu'un simple échange de banalités diverses...

Je m'étais rendue accompagnée de ma dame de chambre chez la modiste. Cette dernière avait des doigts de fée et avait fait des merveilles pour ma garde-robe l'année dernière. Il était tout naturel que j'aille la voir en pareille occasion et surtout, cela allait occuper mes pensées.

Comme d'habitude, mon arrivée me faisait toujours quelque peur remarquer à la fois parce que j'étais toujours accompagnée de gardes chargés d'assurer ma sécurité qui n'étais pas des plus discrets mais aussi du fait que nos armoiries étaient fièrement affichées sur nos voitures.

J'entrais donc dans la modeste boutique, accompagnée. La modiste m'accueillit non sans plaisir et joie car ma visite allait forcément lui attirer quelques clientes bien avisées et dépensières. Je m'attelais donc à répondre à son flot de questions.

- Je vous remercie pour votre sollicitude, nous nous portons comme un charme. Non, ma mère et ma soeur sont restées à Chimay pour le moment mais elles ne manqueront pas de me rejoindre à Londres pour le couronnement du Roi. Je leur transmettrai vos bons sentiments bien sûr.

Elle m'invita alors à passer à côté dans la salle privée afin de s'occuper de moi, abandonnant là sa cliente précédente comme si elle était purement et simplement insignifiante, inexistante. Cette attitude me mit quelque peu mal à l'aise et je ne doutais pas qu'elle ne plairait pas non plus à la jeune femme qui s'était assise.

- Cette jeune dame était là avant moi et il est normal qu'elle passe avant. Je vais jeter un oeil à vos tissus en attendant. Ne vous en faites pas, j'ai tout mon temps.

Je lui jetais un regard désapprobateur lui faisant comprendre que je n'apprécierai pas si cette jeune femme venait à être rapidement expédiée sans grand intérêt pour sa personne ou sa demande. La modiste sembla vouloir rentrer sous terre tant elle se sentait gênée mais peu m'importait. Je détestais les personnes qui considéraient les autres uniquement sur leur importance dans la société.

M'attardant un peu plus sur la jeune femme en particulier, je remarquais qu'elle ne semblait vraiment pas se trouver dans son état normal.

- Vous sentez-vous bien ma chère ? Pouvons-nous vous aider en quelque chose ?

Je la regardais interrogatrice et me sentant sincèrement concernée par sa situation. Si je pouvais lui être d'une aide quelconque, j'en serait ravie.

Si mon inquiétude était quelque peu affectée de prime abord, elle était bien réelle lorsque la jeune femme tenta de se lever pour retomber sur son fauteuil avec autant de grâce qu'un phacochère. Visiblement elle se sentait au plus mal.

Sa jeune domestique semblait désemparée et demanda à la modiste un peu d'eau pour sa maîtresse ce que la jeune femme fit non sans murmurer son mécontentement. J'imagine qu'elle se disait que la jeune femme aurait quand même pu tomber malade ailleurs que dans sa boutique.

- Cette jeune femme a visiblement mal à la tête, installons-là plus à l'ombre et au calme, voulez-vous ?

Sans attendre la réponse de la jeune femme, aidée par sa domestique, nous l'amenons dans un espace plus sombre. Ainsi elle ne serait pas heurtée par la lumière trop forte de cette belle journée ni par les bruits en provenance de la rue.

Une fois installée, je me tournais alors vers ma femme de chambre ayant compris d'avance que j'allais la solliciter, elle me montra la petite bouteille que je reconnaissais pour être l'huile de menthe poivrée. Je tendis alors mes mains afin qu'elle en applique une goutte sur chacun de mes index. Me tournant vers la jeune femme en faisant attention de garder le produit sur mes doigts, je m'adresse à elle.

- Ce produit fait des miracles pour les maux de tête. Vous permettez ?

Je pris un hochement de tête pour un acquiescement et entrepris alors de lui masser délicatement les tempes avec le produit. Une fois que j'eus l'impression que la jeune femme se relâchait enfin et se détendait, j'arrêtai doucement mon massage.

- Vous sentez-vous mieux ?

Entre temps la modiste était revenue et tendait déjà à la jeune femme un verre d'eau. Sans doute avait-elle réfléchi quelque peu mais si à son départ elle apparaissait courroucée, elle se montrait désormais sincèrement inquiète.

Il m'apparut alors subitement que nous n'avions pas été présentées la jeune femme et moi-même. J'entrepris de corriger là ce défaut de bienséance.

- Nous n'avons pas été présentées, je suis Louise de Riquet-Chimay, princesse de Chimay. A qui ai-je le plaisir de m'adresser ? Mon ton était toujours des plus bienveillants et doux afin de ne pas effrayer ou inquiéter la jeune femme.

Encore une fois de plus, son titre changeait les choses. Lorsque je me suis présentée à elle, je remarquais que la jeune femme se figea soudain et pâlissait même (s'il était possible d'être encore plus pâle qu'elle ne l'était déjà). Enfin, elle se confondit en excuses encore et encore. Je l'arrêtais d'un geste de la main.

- Ne vous excusez donc pas, je sais bien que nous avons pour devoir de respecter les convenance en quelque circonstance que ce soit mais le zèle est inutile. Il peut arriver à tout le monde de se sentir mal et vous n'y êtes pour rien.

Il était facile d'imaginer que si la jeune femme avait eu le choix, elle aurai préféré se sentir mal dans le confort de ses appartements plutôt que dans une boutique.

Je lui souris à nouveau avec bienveillance. La modiste proposa qu'elle s'occupe de moi tandis que Miss de Rosebourg se reposait. Je n'y vis là pas d'inconvénient. La jeune femme avait sans aucun doute besoin d'un peu de calme et de repos avant qu'on s'occupe d'elle. Ainsi je ne voyais pas le mal maintenant à ce que la modiste s'occupe de moi.

Je lui expliquai alors mon besoin qui était de trouver une nouvelle robe me mettant en valeur tout en étant quelque peu différente de mes robes habituelles pour un rendez-vous de retrouvailles avec mon prétendant. Elle me conseilla alors différents tissus. Mon choix se porta sur un damas couleur Lilas assorti de tissus plus vaporeux qui allaient venir ornementer le tout et alléger l'aspect global. Nous convenons d'ajout de dentelles éparses sur les manches entre autre.

Durant tout ce temps, je gardais un œil sur la jeune malade. Il était important à mes yeux de m'assurer qu'elle n'aille pas plus mal et qu'elle se repose, profitant là du calme et du fait qu'elle n'ait pas l'attention générale autour d'elle. Je comprenais combien cela pouvait être stressant en particulier lorsque l'on est une femme modeste appréciant ne pas se faire remarquer.

Enfin, la modiste reprit mes mesures pour s'assurer que ses notes étaient toujours d'actualité et me proposa une date de livraison. Ma femme de chambre sortit ma bourse et lui remit l'avenant pour la commande que nous venions de faire.

Avant de quitter les lieux, je revins vers la jeune femme afin de m'assurer de son état.

- Comment vous sentez-vous Miss de Rosebourg, maintenant que vous avez pris un peu de repos ?

-Je vous remercie de votre sollicitude Altesse, je me sens beaucoup mieux grâce à vous. Je ne saurais comment vous remercier de votre aide. Je ne suis qu’une humble fille de comte votre Altesse, mais si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider, ça serait un honneur pour moi.

Même si je réprouve ardemment la modestie qui confine à la sous-estime, je ne pouvais que regarder la jeune femme. Si elle avait conscience de combien elle pouvait se tromper ! Je sais bien que le rang social a une place capitale dans notre société et pourtant, je reste convaincue qu'une femme pleine de chzrme et de talent peut s'élever bien plus haut qu'elle ne le pense et atteindre des sommets si elle croit en elle. Je conaissais seulement trop peu la jeune femme de mon âge qui se trouvait devant moi pour évaluer les richesses qui se trouvaient en elle.

Touchée par son offre sincère, pensant qu'une femme de son rang ne pouvait rien offrir, ou pas grand chose à une femme comme elle, je lui relevais la tête par une douce et légère pression de mon index sur son menton, lui laissant voir le sourire doux et bienveillant qu'affichait mon visage.

- Votre sincère amitié sera pour moi le plus charmant des remerciements. Le voulez-vous ?

Elle ne s'en doutait pas mais à notre niveau, les amitiés peuvent être tantôt difficiles, tantôt à double tranchant. Il était également fort agréable d'avoir parfois d'autres sujets de conversation que ceux auxquels on est habitués. Cet inconnu pouvait être extrêmement raffraichissant. C'était étonnant combien certains mésestimaient la richesse que pouvait apporter une amitié pourtant jugée d'inhabituelle par le resre du monde. Allait-elle seulement se risquer à accepter?